Sur le chantier un conducteur de travaux m’a un jour dit « Les gaines techniques de ton bâtiment, c’est comme le moteur de ta voiture, alors vraiment, fais gaffe». Si on pense souvent le projet d’architecture comme une entité constituée de parties juxtaposées, un bâtiment avec ses sous-découpages structurels, fonctionnels ou programmatiques, on peut aussi le voir comme une machine qui canalise, met en réseau, relie des flux et fluides qui le parcourent et influent sur son dessin. Aujourd’hui l’ensemble des conduits, gaines, câbles, détecteurs, déclencheurs, ordinateurs et autres éléments de technique de « contrôle » du bâtiment permettent l’existence d’un programme. Leur place est devenue tellement grande dans le projet que leur maîtrise dans la conception est capitale, et leur juste mise en œuvre en chantier est une des conditions nécessaires à la réalisation réussie du projet architectural.
Dans la pratique, le développement et la mise au point de l’ensemble de ces réseaux intervient tout au long de l’élaboration du projet, des premières phases d’études au chantier, et influencent très largement le dessin du projet jusqu’à la livraison. Les nœuds de ces réseaux sont souvent des objets complexes à mettre au point, car ils sont la jonction entre différents métiers, différentes compétences originairement séparées, différents enjeux, et donc différents intervenants et différentes entreprises. La mise au point de ces « objets » - nœuds techniques de second œuvre - demande à l’architecte des qualités de synthèse, d’anticipation et de visualisation. Pendant les travaux, cela demande en plus la coordination des différentes entreprises, et la gestion des aléas habituels de chantier. Il est alors très difficile d’obtenir une bonne qualité de mise en œuvre de ce type d’objet, et d’atteindre les exigences établies sur plans. Souvent en chantier la contrainte technique et temporelle s’impose et apparaît comme toute puissante, le temps presse et l’idée architecturale et le niveau de finition sont les premiers à en pâtir. C’est encore plus difficile lorsque les objets considérés sont de haute finition et sophistiqués, utilisent des matériaux fragiles, mettent en œuvre des détails élaborés, sortent des systèmes classiques pratiqués usuellement. En effet les moyens mis en œuvre pour construire - même avec les plus grandes entreprises - sont parfois archaïques faces aux enjeux d’une architecture sophistiquée, et au détriment du savoir-faire artisanal.
Ce mémoire s’appuie sur l’étude de cas des tours « Black Swans » et notamment des salles de bains préfabriquées de l’hôtel quatre étoiles. Mais il considère aussi des « objets » qui peuvent être des cuisines, des éléments de façade – qui sont des dispositifs répétitifs au sein d’un même projet - ou d’ouvrages plus singuliers comme des escaliers, des éléments de mobilier, où a lieu la jonction subtile de fluides, d’électricité, de thermique, de matériaux, de dessin architectural.
Bâtir est un acte responsable, et chaque action compte dans le grand projet qu’est le développement de notre environnement de demain. Léonard de Vinci a écrit « les détails font la perfection, mais la perfection n’est pas un détail ». Ainsi, quelles sont les solutions à envisager pour qu’à l’heure où les budgets sont de plus en plus serrés et les délais de plus en plus courts, la qualité architecturale et la volonté d’excellence jusque dans le détail puisse rester une priorité pour tous les acteurs d’un projet ? Quelles sont les solutions pour que tous les projets ne se nivellent pas vers le bas et l’identique dans un souci de simplicité de réalisation, de respect des normes, de facilité de mise en œuvre, d’économie et de gestion des aléas de planning ? Pour que l’on continue à chercher à innover, à faire plus beau, mieux et nouveau tout en restant concurrentiel vis-à-vis des critères du marché ?
L’objet de ce mémoire est de présenter la préfabrication comme une des réponses possibles à apporter à la problématique du maintien de la recherche et de la qualité architecturale, afin de réussir à développer des objets complexes, performants, prototypiques, innovants, beaux et réplicables dans des conditions de projet à moyenne et grande échelle, avec les contraintes existantes du marché de l’immobilier. De promouvoir une architecture qui intègre la fabrication à la conception – in situ - et externalise tout ou une partie de sa production en usine – ex situ – afin de soutenir savoir-faire, qualité et innovation, au même titre que la haute couture élaborée en atelier et le fait-main guident l’industrie de la mode.
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